• 6 décembre 2024 11:19

Sénégal : Ousmane Sonko relance le débat sur le foulard islamique en milieu scolaire

Août 8, 2024

Au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko relance le débat sur le port du voile islamique dans les écoles. « Nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile », a-t-il déclaré, provoquant de vives réactions.

Au pays de la « teranga » (« hospitalité » en wolof), le Premier ministre Ousmane Sonko a ravivé un débat sensible. Mardi 30 juillet, lors d’une cérémonie récompensant les meilleurs élèves du Sénégal, il a abordé la question du port du foulard islamique dans les écoles francophones. Interpellé par une lauréate voilée sur les difficultés des étudiants arabisants à s’intégrer dans le cursus classique, M. Sonko a prôné l’inclusion.

« Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile », a-t-il affirmé, avant de préciser : « Lorsqu’une élève, parce qu’elle porte le voile, est interdite d’accès à une école, je trouve cela inacceptable. Les élèves voilées et celles qui ne le sont pas doivent bénéficier des mêmes droits et être traitées de manière égale. » Cette déclaration, accueillie par des applaudissements au Grand Théâtre national de Dakar, a suscité l’opposition de certains responsables catholiques, qui y voient une attaque contre leurs établissements. « Mon cher jeune politicien nouvellement promu ! », a ironisé l’abbé André Latyr Ndiaye, curé de la paroisse de l’île de Gorée, dans une lettre publiée samedi : « Vous avez été élu pour lutter contre la vie chère, la pauvreté, le chômage des jeunes, mais pas pour défendre un signe religieux. » Cette missive a enflammé les réseaux sociaux et provoqué de nombreuses réactions.

Réactions et controverses

« Il faut laisser aux écoles privées catholiques la liberté de faire leur travail », exhorte Philippe Abraham Birane Tine, président du Conseil national du laïcat (CNL), un regroupement d’associations et de mouvements catholiques, qui appelle au calme. « Elles ont formé certains des meilleurs cadres de ce pays, dont beaucoup de musulmans. Sur les 119 000 élèves inscrits, seuls 28 % sont de confession catholique. Cela prouve que les familles musulmanes nous font confiance. »

Cette polémique met en lumière les spécificités de la laïcité sénégalaise. Inscrite dans le préambule de la Constitution héritée de l’ancien colonisateur français, elle se caractérise par la perméabilité entre les sphères politique et religieuse. « Le Sénégal n’a jamais conçu sa laïcité à partir d’une séparation stricte entre l’État et la religion. L’ordre social est pensé en termes d’inclusion, pas d’exclusion », observe Ndèye Astou Ndiaye, enseignante en sciences politiques à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Ce modèle offre une place aux religions, même sur le plan politique. Lors de la récente crise électorale, elles ont ainsi exprimé leur opposition au report de la présidentielle.

Le précédent de l’affaire « Jeanne d’Arc »

Si la question suscite autant de passions, c’est aussi que le pays garde en mémoire l’affaire de l’Institution Sainte-Jeanne-d’Arc. En 2019, cette école privée catholique réputée de Dakar avait exclu, le jour de la rentrée, 24 élèves voilées. Créée en 1939 et placée sous la tutelle de la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, en France, l’institution avait fait valoir que son nouveau règlement intérieur obligeait les élèves à avoir « la tête découverte, aussi bien pour les filles que pour les garçons ». L’intervention des autorités et du Vatican avait permis de résoudre la situation, et les élèves concernées avaient pu être réintégrées avec un foulard « aux dimensions convenables fourni par l’établissement ».

Depuis cet incident, la tolérance du port du voile dans les écoles catholiques est devenue la norme. « Le débat actuel n’a pas lieu d’être. Cela fait cinq ans que les écoles privées catholiques acceptent les élèves voilées », constate Cheikh Tidiane Sy, ancien président du Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (Cudis), une organisation musulmane.

Dans l’entourage du Premier ministre, on se dit surpris de l’ampleur des réactions. « Ousmane Sonko n’a pas pointé du doigt les écoles catholiques », explique Moustapha Guirassy, ministre de l’Éducation nationale. « Nous ne sommes pas dans un débat religieux, mais de conformité des règlements intérieurs des écoles avec notre Constitution. Imaginez des écoles coraniques qui refuseraient des élèves non voilées ou portant une croix ! Nous protégeons tous les élèves. » Il ajoute ne pas être au courant de règlements interdisant le port du voile, même dans les 18 établissements français du pays.

Pourtant, dans une lettre confidentielle datée du 2 août et consultée par Le Monde, l’Office national de l’enseignement catholique (ODEC) demande aux directions des établissements de « mettre à jour leur règlement intérieur pour prévenir toute provocation et d’éventuels conflits sur la question du voile ».

Pour contourner ce sujet « très sensible », le directeur diocésain, l’abbé Georges Diouf, appelle à interdire d’autres comportements jugés problématiques. « Sans parler de voile, le règlement intérieur devrait préciser ce que nous n’acceptons pas, comme le refus de serrer la main d’un camarade du sexe opposé, faire de la gym dans une tenue de l’école, s’asseoir sur le même banc qu’un camarade du sexe opposé […] Tout cela constitue une entrave au vivre-ensemble », est-il précisé.


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